Contes Chevêches

par
Oscar Dassetto

L’Incendie

23 juin 2017

DORÉ Gustave (1832-1883), des­si­na­teur, et TRICHON Auguste (1814-1898), graveur, L’in­cen­die s’étend comme une che­ve­lure de flammes, pour Atala, CHATEAUBRIAND (de) François-René, 1863, Paris, Hachette, Bibliothèque na­tio­nale de France

Ils fuient. Pour les autres, c’est la terreur. La chaleur irradie bien au-delà du front, qui progresse au rythme de bourrasques délétères. C’est l’asphyxie. Le crépitement se confond avec un ricanement, le ciel clair en plein jour devient nuit. Dans les ténèbres, c’est l’incendie.

Les bêtes se ruent dans les précipices, s’abîment dans les cours d’eau, percutent les talus et les troncs. Des lambeaux de peau arrachée flottent aux branches et font sentir leur atroce puanteur en brûlant. Piégés par d’envoûtantes racines qui affleurent au ras du sol, certains entrevoient l’issue de leur combat contre le feu. D’autres, écrasés par la mêlée confuse, pris dans le chaos de leurs propres congénères fous de rage et de peur, meurent confis dans l’angoisse et la rancœur. Les yeux affolés roulent dans les orbites, les gueules déformés exhalent angoisse et crainte, les membres tremblants poussent les corps épuisés, les flancs sanglants suintent au bas du ventre, l’urine se mêle aux excréments, à la sueur et à la terre.

Des bois luxuriants ne restent bientôt que d’immenses trous béants, âcres et noirs, couverts de cendre et de chair carbonisée. Après le passage du feu, le jour revient jeter sur les cadavres une lumière crue. Du jeu dans les feuillages, des ombres élancées sous la verdure, des reflets souples de la canopée, il ne reste qu’un projecteur qui braque son œil au milieu des décombres. Quelques souches calcinées pointent lamentablement vers le ciel à intervalle régulier et leur agencement rappelle celui des cimetières.

Dans le silence oppressant qui s’installe, chacun reprend ses esprits et certains deviennent fous quand enfin ils comprennent que leurs proches ont péri sous les coups aveugles de leur sabots, lacérés par leurs griffes, déchirés par leurs dents. Au lieu d’une sépulture assez digne pour honorer leur passage sur la terre, ils n’ont qu’un champ de ruine à consacrer au recueillement. En guise de dépouilles, l’air empoisonné se disperse bientôt et emmène avec ses vapeurs toxiques les cendres des morts.

Abondamment rincées par la pluie qui s’annonce, les plaies refermées deviendront des légendes.