Contes Chevêches

par
Oscar Dassetto

Le Loir

17 août 2024

De l'auteur, Le Loir, 2024, image générée par ChatGPT et retravaillée

Il existe au cœur de la forêt un terrier d’or. De l’extérieur, on ne distingue qu’une chaude lumière, comme si un soleil était venu se nicher sous les racines d’un grand chêne. Et à l’occasion, on peut voir s’affairer un loir dans les environs.

Il va et vient les bras chargés de boîtes, de sacs et de coffrets, le regard brillant. Si l’on fixe trop longtemps ses yeux, ronds et noirs comme deux myrtilles, on y devine des nuances pourpres et une iridescence troublante, pareille à un coquillage au fond d’un lac de vin. Il lui arrive de s’absenter longuement et de revenir en bondissant, sous l’effet d’une joie décuplée, en serrant quelque chose entre ses pattes et contre son cœur. 

On voit aussi des blaireaux décharger des caisses imposantes aux abords du terrier, et les y transporter en suant sous le regard du loir, qui les surveille comme du lait sur le feu, avant de les congédier sans ménagement sitôt la précieuse cargaison à l’abri dans son antre.

Le ballet ne cesse jamais. C’est à se demander comment tant de choses peuvent entrer dans le terrier d’un loir haut comme une pomme.

C’est qu’il a des allures de palais, ce terrier. La petite galerie de l’entrée dessert des dizaines de galeries parallèles, qui se subdivisent à leur tour, et chacune débouche tantôt sur un palier d’où s’élancent plusieurs volées de marches, tantôt un cabinet de curiosités, une chambre, un cellier, une alcôve, un lobby, un fumoir, une rotonde, une orangerie. Par endroits, les galeries se rejoignent, forment des mezzanines, un petit corridor s’ajourne avec un oriel donnant sur un salon-cathédrale, deux nefs encadrent un jardin d’hiver avant de se perdre dans les profondeurs de la terre ; chaque centimètre carré regorge de merveilles.

Les parfois sont incrustées de gemmes, parfois sans ordre apparent, pur chaos de couleurs et de reflets ; parfois dans une même teinte, ainsi le salon vert couvert d’émeraudes ou le boudoir aux rubis ; parfois avec le plus grand art pour donner vie, dans de fantastiques mosaïques, aux méduses et aux rascasses volantes des fonds marins, aux assemblées divines de l’Olympe, aux scènes les plus pittoresques de la forêt — où le loir se garde bien de s’aventurer.

Et au centre de ce capharnaüm trône une étrange œuvre d’art, un sablier dont les grains, coulés dans le verre et figés en pleine chute, narguent le temps lui-même.

Mais un beau matin, le soleil niché sous les racines du grand chêne s’est tu. Il n’y a pas eu un bruit. Le terrier s’est effondré sous le poids de l’or et des lapis-lazulis, et le loir avec lui.