Le Sanglier
26 juin 2014Au plus sombre des bois se trouve l’antre d’un sanglier. Il maugréé tout le jour dans sa cahute de branches vertes et de mousse où se multiplient des champignons et des fougères qui obstruent tous les orifices au point que la lumière peine à passer.
On distingue à peine ses petits yeux brillants au milieu de son pelage serré qu’il entretient avec soin. Il sort rarement, boit peu, mange à peine, veille tard le soir, marmonne mais ne parle quasiment pas.
Les sangliers sont solitaires mais ce drôle-là plus encore. Tout le monde sait qu’il vit ici mais personne ne l’aperçoit jamais. On ne lui connaît ni marcassin ni laie, et on l’imagine un peu sot.
Un jour qu’un jeune daim s’aventure dans les parages, l’ombre du sanglier se profile à l’intérieur de sa cahute. Tandis que les branches remuent, on devine un groin proéminent, une silhouette massive et inquiète, deux yeux minuscules qui scrutent le fringant animal dont les bois sont encore tendres. Le sanglier crache :
« Ouste !
D’une voix douce le daim répond :
— Je suis égaré.
— Et après ! Du balai, c’est chez moi ici !
Le daim s’approche avec prudence et lance, amusé :
— Vous avez le caractère qui sied à votre espèce.
Le sanglier, éberlué, a les yeux écarquillés et la bouche entrouverte. Il bégaie une vague réprimande mais se trouve décontenancé. Tant bien que mal il bafouille :
— Bon, bon, vous êtes égaré, d’accord ! La clairière c’est par là !
Il tend vaguement son sabot vers les fourrés ; la végétation est si opaque qu’on ne distingue rien au travers qu’une masse noire percée çà est là de rayons de lumière qui peinent à éclairer les environs.
— Merci sanglier ! Mais ça n’est pas là que je vais. Je cherche le fin fond de la forêt. On dit qu’il y vit un grand quelqu’un, qui connaît tout de la forêt et de son peuple, tout de son histoire, qui peut voir son avenir. Sais-tu quelque chose à son sujet ?
— Rien. Absolument rien. Passez votre chemin.
Un bref instant les petits yeux noirs se sont plissés. Tandis que le daim s’éloigne, le sanglier se tient silencieux. Il bougonne :
— Grand quelqu’un, grand quelqu’un… »
Au plus sombre des bois, de beaux et grands arbres entourent sa cahute.