Les Progénitures
27 juin 2014Ils ont bravé l’hiver avec son manteau de ténèbres blanches, sa faim et ses nuits interminables. Certains ont tenu bon, les uns dans leur grotte, les autres dans leur nid, mais c’est tout un cortège de morts qui y ont laissé leur tête. Le printemps, lui, a ravivé assez de forces en eux pour qu’ils combattent et méritent le droit de se reproduire. Tous les peuples des bois ont passé des mois d’angoisse et de peur. Mais c’est maintenant le pire : les rejetons viennent au monde.
Ils font un vacarme assourdissant, piaillent dans les nichées et rampent dans les terriers en poussant des vagissements quémandeurs. Pour les oiseaux il leur faut apprendre à voler : imaginez des centaines de larves flanquées de trois plumes grotesques qui tombent de toutes les branches, infoutues de voleter correctement.
En bas, des renards salivent devant ce pain qui tombe du ciel mais impossible d’y goûter ! Là-aussi les petits prétendent marcher et il faut bien veiller sur eux, sans quoi cette stupide descendance meurt foudroyée d’une chute de quarante centimètres ou se jette dans un ravin pour attraper un papillon.
Dans un coin agité de la forêt, une blairelle geint devant un monticule d’oisillons qui se débat devant son terrier : leurs parents les poussent à s’envoler mais il s’écrasent lamentablement, puis chougnent parce qu’ils trouvent voler trop difficile, et plaident pour rester plus longtemps au nid.
D’un coup de balai elle pousse sur le côté les oisillons qui rouspètent et elle maugrée :
« Et voilà, j’en balaie tous les matins, fichus volatiles. »
Elle s’éponge le front et s’assied une seconde, mais déjà elle est frappée d’effroi : l’un de ses blaireautins, fasciné sans doute par la couleur d’un brin d’herbe, s’apprête à se jeter dans un bosquet de ronces.
« Arustinold ! Crétin ! »
Elle accourt et se saisit du crétin dans sa gueule, en secouant la tête de résignation.
« Cons de gosses mais c’est pas vrai. Il n’y aura plus un blaireau vivant dans une génération avec des attardés pareils. »
Le petit Arustinold se contente de baver.
Et tous, petits et grands, à plumes, à poils ou à vapeur, se prennent soudain à espérer l’hiver et ses remparts de silence.