Contes Chevêches

par
Oscar Dassetto

Le jour et la nuit

6 janvier 2023

Oscar DASSETTO (1992-), Le Jour la nuit, 2023, image produite avec Midjourney et retravaillée

La faune qui vaque le jour, apparemment jumelle de celle qui règne la nuit, s’en distingue en fait assez profondément, quoique imperceptiblement. Aussi la reconnaît-on à de subtils détails.

Chez les premiers, les animaux diurnes, il n’est pas rare d’entendre hurler à la mort parce qu’on s’est pulvérisé un orteil contre un tronc d’arbre, empalé le flanc dans un roncier, percé une oreille à travers une branche basse, retourné l’ongle sur un affleurement rocheux, entaillé la langue avec une aubépine, etc. C’est à se demander pourquoi le soleil s’anéantit à donner la lumière du jour à de telles créatures, et pourquoi l’évolution leur a consenti quelque chose d’aussi extravagant que des yeux.

À l’inverse, il n’y pas une chauve-souris, pas une effraie, pas une musaraigne qui ne trouve son chemin à la seule lumière des étoiles ou qui ne sache, simplement blottie dans le pâle manteau de la Lune, se couler agilement d’un lacis de racines à un terrier.

Guidée par les chandelles du cosmos, une effraie s’aventure ainsi dans le dédale de la nuit. Elle y fait preuve d’une habileté hors pair. Les obstacles dressés dans les ténèbres n’affectent pas plus son vol qu’un banc de sable n’affecte l’ondoiement d’une truite. L’effraie glisse suivant un courant invisible vers un aval inéluctable.

Dans son avarice, l’obscurité a fait éclore chez la faune nocturne une acuité supérieure puisée aux sources de l’effort, de l’habileté, de l’ingéniosité. De la plus infime étincelle, ces créatures font un feu de joie.

Pendant ce temps, couvé de sa naissance à sa mort par la tiédeur et la clarté du jour, le reste du règne animal est occupé à panser ses plaies, ses bosses et ses bleus.