Contes Chevêches

par
Oscar Dassetto

Les Horizons

25 janvier 2020

GUÉRARD Henri (1846-1897), Effet de neige, 2e état, des 3 tons, fond gris, sur papier ocre, 1890, gravure sur bois de fil en couleurs, 12 × 23 cm, Paris, Bibliothèque Nationale de France

À la lisière des bois jaillit un lièvre. Vif comme une flèche, baigné de vapeur, son corps brûlant fend l’air glacé. Il s’élance à travers une étendue de terre prise par le gel après les derniers labours. Derrière quelques collines qui pâlissent, au loin, l’horizon disparaît dans les profondeurs lactées de l’hiver. C’est décembre, à l’aube.

Le croassement territorial d’une corneille crève l’ouate sous laquelle tout s’est estompé. Le vent rebat les bois morts d’un chêne où pend du lichen en lambeau. Recroquevillé et immobile comme un cerf défait, il semble mort ; l’aubier grince derrière l’écorce éclatée.

L’air cinglant siffle parfois comme une furie, puis retombe. Du verglas brisé se soulève et vient ficher ses couteaux dans le flanc d’une harde qui erre à travers champs. Les sangliers s’abîment le groin contre le verre pilé qui a remplacé la terre des chemins, s’aventurent parfois dans les buissons et ruent aussitôt en couinant, la gueule constellée d’échardes ; alors, piteusement, ils se tiennent à l’écart de ces ronces effilées comme des harpons. Quand un marcassin frôle sa mère, elle gémit et le repousse d’un coup de patte ; il a brûlé son cuir sillonné d’engelures.

Quelques mammifères attendent le dégel entre les parois de leur terrier, marbrées de veines humides et de racines mortes. Le sol avare dispense à peine assez de tiédeur. Dense et lourd comme de la viande, il suinte le jus de ce qu’il a trouvé de bulbes, de rhizomes, de radicules à décomposer. Un pouls sourd faiblement.

Puis le soleil irradie, ses rayons percent petit à petit le tombeau de gel où la campagne s’est couchée. Des bêtes dont on voit frémir le museau s’extraient de leur caveau et se balancent à la lumière par centaines, comme des scions.

Jadis, elles étaient des milliers.